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CHRESTOMATHIE

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L'ANCIEN FRANÇAIS

((X'-XV SIliCLES) l'KÉCKDKE'Dl*: TABLEAU ^SUMMAHŒ

LA LITTÉRATURE FRANÇAISE AU MOYEN AGE

Kl

.SLIVIE DUX GLUSSAIKE KTYMULualgLE DÉTAILLÉ

noum<:lle édition

s.iKiNKrsEMKNT REVfE ET NOTABLEMENT AMVMKNTÉE

Avec le Supplément i-efondu

I>AK

L. CONSTAXS

Professeur à la Faculté des Lettres d'Aix. OUVRAGE COURONNÉ PAR l' ACADÉMIE KRANÇAIiiE

PARIS ;mile bouillon, ÉDirErn

67. RUE RICHELIEU, 67

MlH'.cr.XC.

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GHRESTOMATHIE

DE

L'ANCIEN FRANÇAIS

DC MEME AUTEll!

De Sermone Sallustiano (TliL-.si). l'juis. Vii-wcj,', 1880 l'iix 7 .'ji)

Salluste. JMili'Mi iiDiiville ilaiiivs les iinilltiii.s li-xlcs, avi'C di/s Xutt's il nu Index i-xjiUca)il' d<'s noms iir<iiii<>. l'aiis. Dt'lawravt'. "^ édi- IImii. i-.-vm- ol r..ni^,'.'-f>. 18W» Prix ■* •>

Salluste. T.-xl>- .•! h-adiution Inni.-iiM. Taris. K. }!..uil|(.ii. 1X88. Prix .".«l Ouvrage couronné par l'Académie française

César. <iiiirr'j des liaiili-s. Kdiliun nom. 11.-, d'iiiavs l.s ini'illi'iu-^ l<-xle.s, avec dos Nolo.îs, un Appondii-c sur l'armer rmnaini', iiiif Ktudr sur la lanj^Ui' di- r.rsnr. il un Tndix ;,'rnf.'rn|ilu([Ui'. Paris, Dcla^'ravc, l88'i l'rix •,'

Marie de Compiègne d'après l'Évangile aux femmes, i'aris. Vir-\vi-^. is;ti Prix ;; •■

Essai sur l'histoire du sous-dialecte du Rouergue. Onvra^ir <jni :i .'i)lt'nn !<• jinniifr jirix di- i»hili>iii;iii- aux IVI.n lalims dr Mont- ).. Ilit'r (18/8). Paris, Maisonnenvc r-t C'% I8'<ii Prix •'» ■■

Le livre de l'ÉpervierT Cari niai rodé la cumninne dt- Millan (.V\"»'V- ruiii. a\i<- mil lnlp"Iui.lii>n, nii Glnssain- et uno Taliir laisunmV- d<> n<)ni> iir<i|»ri>. Palis, Maisonjjouvo et ('.'"', 188-2 l'rix lU »

La Légende d'Œdipe, l'tudioo dans l'aidiquitt-, au niojen à^jo id dan» lus ltni|ts mudornos, eu particulier dans lo roman de ïlièbes, l.-xli' liimcais du XH^ sièclf. Paris. Maisouuouve et C'^ 1881. Prix. lU »

Les Manuscrits provençaux de Cheltenham (.\nglo terre). Notice t textes inédits. Paris, Maisoiineuvo et C'«, 188-2 Pi ix M "><•

Kl... .■II-.

S'jdM Pi't'S-'iC (pour jKdiidi'e eu. J>>'01).

Le Roman de Thèbes. Edition critique d'ajirés tons les manuscrits i-.innus, avec une Inlrodnclion ftnn filos.sair.-. Paris, I>idol (Soci'Hc ^ 'ii's anciens lej'li's I rançois).

CHRESTOMATHIE

DE

L'ANCIEN FRANÇAIS

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(IV-XV» SIÈCLEsJ

PHKCKDKE DIX TABLF.Al" SOMMAIRF.

un

].A LITTÉRATURE FRANXAISE XV MOYEN AGE

SUIVIE DLTN GLOSSAIKE ÉTYMOLOGIQUE DÉTAILLE NOUVELLE ÉDITION

SilIONKIsEAfENT RKVLE ET NOTABLEMENT ArGMENTÉE

Avi'c lo Siippléiiieuf )V'f(in<lu

L. COXSTANS

Pi'ofess>^ur à la Faeultû des Lettres d'Aix. itlVRAOK COT-RONXÉ PAR L"ACADÉMIE FRAXÇAIS^E

PARIS EMILE BOl'lLLOX, ÉDITEUR

ti";. lU'K KIC'HELIFr. (T/

MDCOCXC

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PRÉFACE

Le Conseil supérieur de riiistructiun puljlique a décidé que renseignement de la langue et de la littérature françaises tlevait remonter aux origines, et le nouveau plan d'études a prescrit cet enseignement pour les classes de troisième et de seconde de nos lycées. Malheureusement. 1" inexpérience des maîtres et 1*^ manqne de livres appropriés ont empôclK' cette sage mesure de produire tous les résultats (ju'on (Hait eu droit d'en attendre. En effet, la Chrestomathie de M. Karl Bartscli, qui a atteint, en Allemagne, sa quatrième édition, est d'un format incommode et d'un prix inabordable pour les élèves, et le Recueil cVancieHs tc.rfcs, d'ailleurs excellent, de M. Paul Meyer. le savant din^cteur de l'École des Chartes, dont on attend toujours le glossaire, étant, dans l'esprit de son auteur, destiné à servir de ]»ase à son enseignement, le choix des morceaux qu'il y a admis a été fait plutôt au point de vue de l'étude de la langue et de la critique des textes qu'au point de vue littéraire. Il nous a donc semblé ({ue nous ferions une œuvre utile aux professeurs et aux élèves en réunissant à leur intention un certain nombre de morceaux pris parmi les meilleurs de notre ancienne littérature, et en les mettant à même de les lire sans trop d'efforts, à l'aide

IJ PRKKACK

(l'iiii frio.sstdri' coiiiplct dos Ibrines cl des sens qui se reiicon- tront dans le Recueil et d'un Tableau somniah'e des flexions en (inricii fiuatçais.

Dans le choix des morceaux, nous avons eu en vue deux iV'sultats prini-ii)aux à atteindre : 1" présenter, dans un ordre nn'tli(»di({ue, des spécimens des différents genres litté'raires (•uHiv(''s au moyen àiic alin de montrer la richesse, la variéjc'' et l'originalité de notre vieille litté-rature, tout en respectant les règles du goût et do la bienséance; 2" accessoirement, donner une idée des différents dialectes qui ont contribué à former la langue française, (l'est cette dernière considéra- tion (|ui nous a décidé à garder pour chaque texte l'ortho- graphe des manuscrits, sauf, bien entendu, les cas nous avions [\ noire disposition un texte critique déjà publié ou établi jjar nous-mèjne. comme pour les \V'^ 17 et 13. Toutes les fois que le texte (f un morceau choisi par nous et déjà publié n'offrait pas toutes les garanties désirables au point de vue de la correction , nous avons vérilié sur les. manuscrits (du moins pour les manuscrits de Paris), et nous avons édité à nouveau plusieurs morceaux ;i l'aid** de manuscrits meilleurs •.

Nous n'avons pas besoin d'ajouter (pie nous n'avons pas hé'sité à apporter des corrections, soit aux imi^'imés, soit aux manuscrits, l(»rs(|ue cela nous a ])aru nécessaire. Les mots ou lettres ajoutés ont été mis entre crochets, les, mots ou lettres retranchés entre parenthèses, (juant aux accents, nous en avons ('lé' un ]>eu plus prodigues ([ii'on ne l'est d'ordinaire. If'uanI a donner au jech'ur. toutes les lois ([u'elic (Hait assurf'e.

l.i- II" i'i ii"t-t;iil CDiDiii (jiic i>;ii' i|Ucli|iit.'S rihitiiDis do M. (Jhalja- iii'îiii. fîïitos d'iiprès iin(i-c t-diiic. |,c II" i; Hîiviiil imiciis l'h' itiililir,

PREFACE 11.)

la prononciation ancienne et à laciliter la leetnre de nos textes. L'inéiz'alité de traitement que l'on remarquera entre les différents morceaux à cet égard tient îi ht ditlV'rcnee des époques ils ont été composés.

Le Glossaire a été établi avec le plus lirand soin, il cuin- prend tous l<'s mots ilu texte, mrme toutes les formes ver- haies, à l'exception de celles ({ui. u'dtfrant d'ailleurs aucune liarticulcirité ortliourapliique. pouvaient tivs facilement ètiv iv^nmvées dans nos paradigmes, comme, par exemple, celles de la première conjugaison. Pour chaque mot. nous ren- voyons généralement à la forme la plus usitée au commence- ment du XIII*' siècle, forme à la suite de laquelle nous donnons touti's les autres en renvoyant le plus souvent au texte par des chiffres. Nous avons cru devoir donner h's étymologies. (ht moins pour les mots d'origim'hitiiie. <'n iiidi(puint non pas seulement le mot racine ou h> mol latin correspondant, mais les sulïixes latins ou romans (|iii. s*;ijoutant à un mot latin, out formé un nouveau mot s^ms ('(juivalent dnns In longue mère. Les élèves se fjiniilijirisci-dut ainsi avec un i)oiid iiiqtor- tiint de l'histoire de la langue et. grâce aux explications complémentaires du professeur, pourront éviter d'avoir sans cesse sous les yeux l'admirable, mais peu maniable Diction- naire de Littré.

Malgré les soins que nous avons donnés à la correction des 'preuves, il s'est glissé dans notre travail un certain nombre de fautes d'impression, la plupart sans gravité. Nous en demandons pardon au lecteur, et nous les relevons ci-dessous ' .

' Malgré notiv bonne volonté, il \\v nous a pa> été possildr d'ar- river «lans la seconde édition, à une correction suflisante. et nous avons recourir à un nouvel Errata, après avoir suppruné le premier.

j V PREFACE

en y ajoutant quelques nouvelles corrections au texte. Nous serions reconnaissants à nos collègues de vouloir bien nous communiquer les fautes qu'ils auraient relevées de leur côté, comme aussi toutes les observations (|ue pourrait leur suggérer la pratiijue de ce modeste recueil.

Paris, 30 septembre 1883.

AVERTISSEMENT

SUPPLÉMENT A LA CHRESTOMATHIE

Le bienveillant accueil que les critiques compétents et nos collègues de FUniversité ont fait à notre Chresfoniafhie de Vanciea français, la haute approbation de M. le Président et de MM. les Membres du jurf de l'Agrégation de Gram- maire, qui ont bien voulu, deux années de suite, admettre ce modeste travail parmi les ouvrages inscrits au programme; enfin les encouragements flatteurs de TAcadémie française, qui nous a accordé une partie du prix Arclion-Despérouse, tout nous fait un devoir d'améliorer par tous les moyens notre livre, afin de le mettre en état de rendre de plus utiles services.

En attendant que la faveur du public nous permette de donner une seconde édition corrigée, et pour nous conformer au désir qui nous a été exprimé par un certain nombre de candidats à l'agrégation, nous publions aujourd'hui un Sup- plé nient important, ({ui permettra de lire nos textes sans

coxsTAS's. Clirestoiixathie. «

Jl AVKUTISSKMKNT DL' SH'l'LEMKNT A LA CllKKST< t.MATHlE

trop lie (liflic'iiltf'. non scuhMncnt aux profcssours encon? peu laniiliers avec- notre vieille laiiiiue. mais encore aux ('lèves de force moyenne de nos lycées et collèii(^s.

Ce supplément se compose de deux parties distinctes, mais tendant toutes deux au même but. La première contient la traduction des textes les plus anciens et les plus difficiles du recueil : il a été fait exception pour la CJiauson de Roland, pour la(|uelle la traduction de M. L. Gautier peut servir de base, sauf à se reporter à nos notes. La deuxième partie contient, pour chacun de nos soixante-douze textes, une série de remanjues succinctes destinées les unes à éclaircir le sens des passages difficiles, les autres, d'un caractère Ijurement pliiloloi^ifjue ou grammatical, à suppléer, dans une certaine mesure, à l'absence d'une grammaire spéciale de Tancien français, que les limites imposées d'abord à noire volume par l'éditeur ne nous avaient pas permis d'y joindre. Nous sommets heureux de pouvoir aujourd'hui combler en partie cette lacune.

L. CoNSTAXS. Paris, octobre 1880.

AVEUTISSEMENT

I_.-A. IDEXJIXIIEnvnE EIDITIOIsT

Grâce à l'appui bienveillant qu'a continué à nous accorder le Jury de rAgrégation de Grammaire, grâce aussi à la sympathie de nos collègues, et en particulier des nouveaux agrégés, qui ont bien voulu signaler notre livre à leurs élèves, la ChresfomafJiie arrive aujour^rhui à sa deuxième édition. Fidèle à ce que nous croyons être le premier devoir d'un auteur soucieux d'être utile, surtout lorsqu'il s'agit d'un livre destiné à l'enseignement, nous avons apporté tous nos soins à la révision de l'ouvrage et à la correction des épreuves, toujours si laborieuse, et sans rompre le cadre que nous nous étions tracé, nous avons apporté à notre Recueil des améliorations de détail très nombreuses et très importantes.

De plus, tenant compte des observations de la critique, nous avons ajouté un certain nombre de morceaux (un millier de vers environ), ce qui nous a permis de mieux taire connaître les genres littéraires les plus iniportnnts.

IV AVERTISSEMENT DE LA DEUXIEME EDITION

coiiiine rq)()i)(''e et la chanson *. Enfin, nuns avons cru (ju'il convenait de tondre dans l'ouvrage primitif 1(» Supidcuient pulilié deux ans plus tard, afin d'épargner aux travailleurs Tennui il'avoir à recourir à deux volumes différents pour rinterpr(''tation des textes. Nous avons donc placé les tra- ductions à la suite des textes auxquels elles se rapportent et réuni au bas des pages les notes et les sommaires; les variantes ont été rejetées après les textes, afin d'éviter l'encombrement.

Nous appelons sur cette nouvelle édition l'attention de la critique, et nous serions heureux de recevoir do nos collè- gues des observations, dont nous sommes disposé à tenir le plus grand compte dans une édition subséquente, si, comme nous l'espf'i'ons, celle-ci est favorablement accueillie du public un peu spécial auquel elle s'adresse principalement.

L. (loNSTANS. Aix-eii-Provence, murs 1890.

< Les nuiin'TOs (les Ifixtes sont ;,'r'iir'i':ili'itiriii i-cst/'S les jm-inos. Les sejit iiiorccaiix nouveaux ont i»u êli'e iutnjflnits soit en subdivisant certains ctiiOres (xxiii, xxxi, Lvii), soit eu en jri-ou|)ant ensenihle deux ^xxxvii et xxxviii). ou [ilusieurs (vi, vu, vih.'^ix), d'après leuis analo- gies.

TABLEAU SOMMAIRE

LITTÉRATURE FRANÇAISE AU MOYEN AGE

A vrai dire, l'histoire de la littérature française au moyen âge est encore à faire i. Les savantes notices publiées dans VHistoive litté- raire de la France, les travaux si nombreux parus dans les vingt dernières années tant en France qu'en Allemagne, dans le domaine de la philologie française et de l'histoire littéraire, les textes abon- dants et variés imprimés ou réimprimés depuis cinquante ans, tous ces secours , qui semblaient de nature à tenter les travailleurs sérieux, n'ont fait que les mettre en garde contre les dangers d'une entreprise téméraire, en leur dévoilant l'immensité et les difficultés de l'entreprise. Une honorable tentative faite récemment pour vulga- ser les résultats des travaux des spécialistes 2 n'a réussi qu'en partie: elle a cependant indiqué la voie, en montrant quels étaient les points encore insuffisamment étudiés et le parti qu'on pouvait tirer des travaux accumulés sur certaines portions de ce vaste sujet. Nous ne pouvions donc avoir la pensée d'improviser cette histoire, à pro- pos d'une Chrestoniaihie et sous la forme d'une Préface. Tout ce que nous avons voulu, c'est offrir aux élèves et aux maîtres, en quelques pages concises et sans prétention, un aperçu sommaire des richesses déjà pu])liées ou encore inédites, que le moyen âge français apporte comme contingent à l'histoire littéraire, et placer dans un cadre

' Co qui était vi'ai au moment paraissait la première édition de cet ou- vrage ne l'est phis du tout depuis la pul)lication de l'excellent Manuel de notre maître éminent, M. Gaston Paris : La littérature française aa -^inoyen âfje. Paris, Hachette et O, 188S.

* Histoire de la hmrjue et -de la littérature françaises au moyen âge cVaprès les travaux les plus récents, par M. Ch. Aubertin. Paris, Belin, t. I, 1870; t. II, 1878.

VI LlTlKHATlTiK J1'..\N(.:AISK AU MOYKN A(ii: _

natnrt'l los ronsoignenicnts bibliographiques ou lilli riiiios qui no liouvaiont commo(lt''mont être placés en note au bas du texte i. Nous suivrons floue natTiivlleniont Tordre nif-nie du recueil, et nous étu- ilierons raytidenient, dans sept paragraphes successifs : lo les plus ancifus textes : la poésie épique et narrative: 3p la poésie pasto- rale ot lyrique; 'lO la poésie satirique et didacti<[ue: ~)'> la poésie dra- niatiipie: Co la chronique et Thistoire; la littérature religieuse, les traductions et les divers genres en prose.

I. r.KS r-I.TS ANCIENS TKXTES.

I.e ](lu> ancien monument connu de la langue française du Nord ou langue «l'oïl *, monument qui n"a d'ailleurs rien de littéraire, est celui que nous a conservé riiistorien Nithard, petit-fils de Charlemagne. dans son histoire latine des dissensions des fils de Louis-lf-Pir-ux : je veux parler des Serments prononcés à Strasbourg en 842, d'un côté jtar Louis-le-Germanique, de l'autre, par les soldats de Charles- h'-CIiauve (Chrestowathie, 1). Nous ne parlons que pour mémoire des glossaires de Cassel et de Reichenau, du viiip et peut-être du vu" siècle, jM-éfieux pour l'histoire de la langue, nuiis qui ne sont que des recueils île mots. Les textes qui suivent jusqu'à la Chcuiaon de lio- Ittnd offrent ce caractère commun que ce sont des poésies religieuses destinées à être lues ou chantées dans les églises pour l'instruction (■[ l'éflification des fidèles.

Kst-ce à dire que la production littéraire en français se soit bornée exclusivement à cet ordre de matières? Non certes, la Cha^imn de Roland n'a pu, comme nous le verrons plus loin, surgir tout à coup sans jiréparation, et la plus belle de nos chansons de geste ne saurait être un j»hénoniène sans précédent dans le développement des idées au moyen âge. Si nous n'avons conservé que des poésies religieuses qui soient jdus anciennes que le Roland, c'est que, d'une part, le succès de ce poème dut amener la disparition des récits épiques antérieurs, et que, d'autre part, l'usage permanent des poésies consa- crées ])ar l'Kglise devait singulièrement favoriser leur conservation. ])ès If commencement du ix« siècle, en effet, nous voyons Charle- magne, aussi bien que les conciles, prescrire aux évèques de prêcher en i-oman. c'est-à-dire en langue vulgaire, le peujde ne comprenant pbis h' latin littéraire, et aussi de traduire les liornélies dos Pèi'os.

' Vuyez cependant, ci-de.ssiis, VAveHisaeinent de la fleiixiême édition.

* Prononcez oui, de hoc-illic (voy. Cornu, Rom. IX, 117), si^ne de l'affir- mation dans la France du Nord, comme oc = hoc était le signe de l'affirma- tion dans la Kmnce du Midi, et si = sic on italien.

LES PLUS ANCIENS TEXTES VII

T'uo ivLjle imninablo, mais dont on ignore Toiigino, no pormottait pas (le traduire mot à mot les saintes Écritures; ce n'est qu'an com- mencement du xiie siècle que l'on commença à déroger à cet usage. C'est ce qui explique comment l'un des deux poèmes de Clermont a pour sujet la Pafinion du Christ.

Ce poème, dont certains traits sont empruntés à VErangile do Xicodcine (apocryphe), a été écrit vers la tin du x" siècle; il est en strophes de ([uatre vers octosyllahiques assonant deux par deux et appartient à un dialecte qui mêle les formes de la langue d'oïl et celles de la langue d'oc i : c'est pour cela que nous n'en avons pas donné d'extrait. Le secoml des deux poèmes, la Vie de saint Léger {Chrest., 3), dont les strophes sont composées de six vers octosyllaln- ques assonant également deux par deux, quoique transcrit comme le premier par un scribe de langue d'oc, a été certainement écrit en français. Il nous retrace la lutte entre le saint évêque d'Autun et Ebroïn, et le martyre que celui-ci lui fit subir. Ces deux poèmes ont assurément pour base un texte latin. Le Saint Léger, dont nous possédons la source latine, la Vila Leodegarii, du prieur Ursinus, semble avoir été composé au milieu du xe siècle ; il est donc un peu postérieur à la Cantilène de sainte Eulalie {Chrest., 2) *, formée de quatorze strophes de deux vers et d'une coda, écrite à la lin du xî^ /)( ^ siècle à ra])l)aye de Saint-Amand, entre Tournai et Yaleuciennes, et découverte dans cette dernière ville par Hoffmann de Fallersleben, en 18^37, dans un manuscrit dulx^ siècle. A la même bibliotlièque de Yaleuciennes appartient un manuscrit presque en entier écrit en notes tironiennes, l'on trouve un curieux commentaire du texte de Jonas, qiii mêle d'une façon bizarre le latin et le français destiné à expliqiier le latin : il semble que ce soit un brouillon écrit à la hâte par un i^rédicateur avant de monter en chaire. M. Cénin l'a publié pour la première fois sous le nom de Fragment de Valenciennes dans son édition de la Chanson de Roland (1850). On l'attribue géné- ralement au commencement du xe siècle. Tous les textes que nous venons d'énumérer, saiif la Passion, appartiennent aux dialectes orientaux de la langue d'oïl.

La Vie de saint Alexis (Chrest., 4) appartient au contraire à la

' Voir Gaston Paris, Rontania, IT, "^O-j sqq., qui en a donné mio oxcr-llento édition l'evue sur le manuscrit.

- Pour la mesure de cette prose rythmée et assonancée, voir P. ^Nleyer. Note .fitr la métrique (la chant de sainte Eulalie, Bil)liothèque do l'École des chartes, ;> série, II, "^37 sqq. ; Bartsch, Bie lateinischeti Sequenzen des Miltelalters, p. 1H5 sqq. ; Suchier, Jahrhach f'ùr rom. iind engl. Sprache ifiid Literatnr, XIII (1874), 385 sqq., et lenaer Literaturzeitanrj, 1878, n" 21 ; Ko.schwitz, Coinmentar zu den œltesten fr. Sprachde>ikmœh'r ; Wo'v^and. Traité de rersifîcatiou française, Tjnuuberçf, '2' édit., 1871 , p. 12^i.'21 1 sqq., etc.

Vlll l.nTKH.VrrRK FRANr.VlSE AI- MOYEN AdK

partie oci-iilt'iitalo du domaine; elle est écrite dans cette belle lan^^ue ([u'on parlait dans l'ancienne Neustrie, c'est-dire dans la Normandie, rile-do-France elles province du Centre, vers le milieu du xi" siècle, avant ({u'aiiparussent les divergences qui ont distin^fué dès le xii« sii'clf le français et le normand. Postérieur d'un siècle au Saint Lt'tji'i'. il nous oll're une langue plus nette, mieux dégagée de la cons- truction latine, et non encoie embarrassée de ces nombreuses parti- cules dont s'accommodera jdus tard trop volontiers l'abondante facilité de nos troureurs. L'auteur, qui n'est pas nommé, pourrait bien être ce Thibaut de Vernon, chanoine de Rouen, (pii, à ce (pie raconte une clir(tni(iue latine, traduisait du latin, i)eu après 1053, des Vies de saints et en faisait de pieuses cantilènes, entre autres la Vie (le saint Wandh-ille. Ce poème, comi)osé d'abord de 025 vers, divisés i-n 125 stroi)hes «le 5 vers décasyllabes monorimes, eut un succès si durable (pi'on lui fit subir jus(|u'à trois remaniements successifs pour l'accommoder au goût du temps, remaniements qui, par une heureuse fortune, nous ont été conservés : le premier, qui est du xii'' siècle. assonance comme celui du xi^, est en stro})hes monorimes d'inégale éten<lue et contient 1357 vers ; le second, <lu xiii» siècle, est rimé en strophes irréguliéres : il compte 1278 vers et appartient au domaine ])icard; enlin le texte du xiv<! siècle offre 800 vers alexandrins distri- itués en (juatrains réguliers. Dès le xii» siècle, le poème sort de l'église et le début indique (ju'il est écrit pour un chanteur populaire: au xiv« siècle, la lecture a renq)lacé la récitation nnisicale des jongleurs, l'u'uvre se transforpie encore et devient un roman p-ieux, achevant ainsi la série des transformations ordinaires aux ])0ènies francliement populaires i. Ln rédaction du xi^ siècle est une o'uvi-e des j)lus remarfiuables au point <le vue <bi style, et l'on peut croii-e qu'elle avait été précédée d'o-uvres semblables, mais moins])a]-faites. car la langue s'y montre déjà souple et avec ses (jualités constitutives. en même temps rjue l'art se manifeste, aussi bien dans la (construction de la stroplic «jue dans le clioix et la disi)0sition des mots : le chef- d'u'iivre ]itti''raii'e du moyen agi.' ne va pas tarder à pai'aitre.

II. l'OKSIE Kl'KJlK ET NAUKATIVE.

a. La matière de France. Epopée nationale.

Le besoin de s'orienter dans le chaos de nos chansons de geste a provoqué de bonne heure des classements plus ou moins justifiés.

' Nous Ml' parlons pas, bien entendu, des rédactions en jirose, ni de deux pitéuii's indépeiidaiits du xui" siècle, j'mi i-ii latin monorinic, i'aiitn' en prtits vers à rime plate.

POÉSIE ÉPIQUE ET NARRATIVE IN.

Dès le commencement du xiii« siècle, les jongleurs avaient adopté une première classification générale <les sujets, suivant qu'ils se rap- portaient à la France, à la Bretagne ou à TAntiquité :

Ne sont que trois matéres a nul home entendant : De France, de Bretagne et de Eonie la Grant,

dit JeanBodelau commencement de sa C7trt«so« des 5rtJCons. La geste de France se décomi^osait à son tour en geste du lioi (ou encore de Pëpin et de l'(mge), geste de Garin de Monglave on de Guillaume, et geste de Doon de J\i(nje?ice.La première réunit les poèmes qui ont pour héros (Hnirlemagne ou un membre de sa famille, et en général ceux domine la tendance imitaire primitive : elle comprend naturelle- ment les j)lus anciens i, et le grand empereur y est présenté comme un tyi)e de courage et de justice. La deuxième groupe les poèmes qui ra- content les exploits des liéros du Midi contre les Sarrasins de Septi- manie ou de Provence ; elle semble avoir été constituée la première et a pour point de départ les exploits de Guillaume au court Xec. La troisième, opposée à la première comme esprit, représente la féoda- lité, et en particulier la féodalité orientale, la plus puissante et la mieux développée : elle chante les barons rebelles et les place au- dessus du roi. C'est celle des trois gestes qui s'est constituée la der- nière: l'on y fit entrer, non seulement les membres primitifs de la fa- mille de Doon de Mayence, Bevon d'Aigremont, Aimon d'Ardenne, Doon de Nanteuil et Girart de Roussillon, mais encore tous les héros qui ne pouvaient entrer dans les deux autres gestes, et pour cela on attribua 12 fils et 12 filles à Doon de Mayence. Quelques poètes (Phi- lippe Mousket, etc.) cherchent à séparer les traîtres des vassaux re- belles plus ou moins fondés en droit et en font une quatrième geste; fl'autres les confondent dans la troisième -.

Ces divisions tout artificielles appartiennent à la troisième époque du développement épique. Alors la matière primitive et populaire étant complètement épuisée, on essaie de la rajeunir en introduisant dans le vieux cadre des merveilles et des féeries empruntées aux ro- mans de la Table- Pionde ; on dénature les vieilles chansons de geste dans des renouvellements fastidieux et prolixes disparaissent, par suite de l'ineptie des remanieurs, les traits intéressants et les beautés de style de l'original ; « on comble comme on peut les lacunes des

Non seulement ceux que nous possédons encore, mais aussi ceux qui ne nous sont pas parvenus, soit que le texte original ait complètement disparu, soit que nous n'en possédions qu'un ramaniement postérieur.

- Voir (j. Paris, Histoire poétique de Cliarle magne, Paris, 1865, liv. I, ch. IV.

x i.riTKiiArrHK i-haxcmsi-; .\r m<»ykx .\<iK

}f(''n<'':ilo;,'ios : on c'oini»osf> dos poèmes pour sorvir do lion onlro coiix dont on entroproml leclassonient ; on s'attache àcomplôtor l'histoire dos liéros on narrant h's parties de lenr vie (leurs Enfances princi- palomont) (pii avaient oto négligées i, ou hion oncoro on imagine do fahulonx exploits pour leurs ancêtres ou leurs descendants. ^ » Alors ap])araissont (milieu du xive siècle) des œuvres cydicpios comme Tristan rie Xanlcuil, Doon de Maj/ennr, Gaufrey, etc. Quand on comjjaro la f'hanaotî de Roland aux derniers rajeunissoments do Jourdain de lilai/e et do Huoyi de Bordean.c au xve siècle, et aux rèilactions on pi-oso popularisées par l'imprimerie, on peut mosuroi-la grandeur de la décadence et les modifications du goût pulilic dans cotfo longue période de cinq siècles.

Dos lo x*" siècle, on effet, la transition du fliant populaire piimitir au poème é))i<pio était accomplie, ou du moins on peut af'lirmor que les cantilènos héroïques du xc siècle avait une forme assez dévelop- pée. Le 7?oZff«rf fait allusion à plusieurs poèiuos dont les originaux sont perdus. Ce sont: Aspremonl, conquête de la Fouille par Char- lomagne : les Enfances Ogrier, guerre d'Italie; Gxdlalin ou (iiiilc- r/)/in (= Witikind), guerre de Saxe (conservée seulement dans une traduction is]an<laiso, la Karlamagnvs sarja, et renouvelée à la fin du xii" siècle i)ar Jean Bodel d'Arras sous le nom de Chatison des Saisnes), et Jialaji.'gnoiTi- d'Italie (un épisode seulement est resté, dé- veloppé dans Eierahras). Si l'on joint à ces quatre poèmes le Cof/ron- nemeni de Louis, dont un fragment s'est conservé dans le poème du même titre qu'on rattache au cycle de Garin do Monglavo (L'hrest., 1), et les poèmes (inspirés par des contes orientaux) qui racontent dos aventures personnollos an roi : liasin ou le Coiironnemenl de Chaylentaf/ne, (jui a passé en islandais et en néerlandais ; Berihc, dont nous avons une rédaction du xrii'^ siècle, par Adenet le Roi (ChresL.U)^: 8" Mainel^ ou \ Enfance de Charlemagne, perdu sous la forme pi-imitivo et remanié [tlusieursfoisà l'étrangor, et on France par Gii-art d'Amiens: \n la Heine Sibile'^ (poivlue on français, mais

' CL Mainet (nom do (niarlemagno dans sa jounosso), les Enfances (Jf/icr, etc.

- P. Mévor, Recherches sur l'épopée française, Bibliothèque de l'Êcnlo (les chartes, (i"^ série, t. III, p. 42.

3 Berthe aux grands pieds n'a rion d'historique : c'est l'hi.stoire de Cliilpé- ric II, que l'on a ai)pliqiiée à Oiiarlemagne. Peut-être aussi la légende est-elle iront,'ine niytiiiquo. Wjy. Romania, XIV, 144.

' yiainPt est penf-être une légende germanique. Il y a d'ailleurs un mélanse de faits historiques se lappiutant à (^iiarles ilartel luttant contre jiagentVed et Cliilpéric II (G. Paris, Cours professé à l'Jùole des Hautes Kluflcs en ]KS(t-l«.sl). Des fnij/ments intéressants de Mainet, découverts par M. Bou- fiierie, ont été j)uhliés par M. G. Paris, avec un savant commentaire, /fowrt- aia, IV, '^l'y sqq. Cf. Xllf. mt, et XIV, 144.

Sibile. fille du roi païen Agolant, était femme de (Ihai'lemagnc. C'est

PdESlE EPIQUE ET XAHHATIVE XI

conscrvoe dans la Chanson de Macnire on français italianisé) ; ;> Gor- mond et Isamhard, dont un fragment important, datant du xi^ siè- cle, a été récemment découvert et publié i, et qui a un fond histo- i-i(iue. la bataille de Saucourt (881): si l'on groupe ces dilïérents poèmes, on aura le noyau primitif de la Geste dit lioi et deJÉ'popée française, dont le Roland est le type. A la première époque également, quoi([ue de formation un peu postérieure, appartiennent, dans leur rédaction primitive, Ogier de DaneniarcJi , Girarl de Roussillon (xiip siècle), Aqnin (reprise de la Bretagne sur les Sarrazins par Charlemagne) 2, Renaiid de Montauhan (xiie siècle), Girart de Vienne, Raoul de Cambrai (xiiie siècle), Doo7i de Nantenil (xiv** siècle), etc., poèmes destinés à raconter les luttes de Charle- magne contre ses vassaux. Une époque intermédiaire eiitre la période ]>rimitive et la période cyclique est celle qui s"étend du milieu du xii** à la tin du xiii^ siècle : on y rajeunit lés chansons de la pre- niière époque en modifiant la forme et transformant les assonances en rimes, et Ton supplée à la tradition populaire par Timagination. A cette dernière tendance appartiennent, en particulier. Gui de Bokv- gof/ne, Huon de Bordeaux (Chrest., S), Gaidon, Jean de Lanson et Gui de Nanteuil^.

Il faut accorder une mention sjjéciale aux iiombreuses imitations t'irites en franco-italien à la fin du xiii*? siècle et au commencement du xivp par des jongleurs italiens, lesquelles ont servi de transition entre les poèmes français et la vaste compilation en prose, de la fin <hi xive siècle, ou du commencement du xV, due à Andréa da Bar- berino, et connue sous le nom des Reali di Francia (les Royaiix de France). Le meilleur et le plus intéressant de ces poèmes est Y Entrée de Spagne, oeuvre d"un autour padouan cpii ne s"est pas nommé, et qui est peut-être un certain Minocchio, auquel l'attribue un des ma- nuscrits de la bibliothèque des (ionzague '■. Il faut y joindre, comme une continuation, la Prise de Parupelune de Nicolas de Vérone, qui est également Fauteur d'une Passion î.

dans ce poème que se trouvait la légende du chien de Montai'gis, ainsi nommé d'une tapisserie du château de cette ville, datant de la fin duxv siècle, qui représentait le comhat judiciaire du cliien d'Au])ri contre Macaire, calom- niateur de la reine et meurtrier de son maître, ce qui a fait croire plus tard que le fait s'était réellement passé à Mtintargis sous le règne de Charles V.

' La Mort du roi Gormond, fragment unique d'une chanson de geste in- coinuie, réédité littéralement sur l'original (déjà puhlié par Reifî'enherg en lHb'8, puis perdu) et annoté par Auguste Scheler, Bruxelles, 1876 : Frognient de Gormund etiseinhard, l'ext nel)st Einleitung, Anmerkungon und voilst;en- digen Wortindex, von Piohert Heilighrodt (Roman. Studien, III, .T)4'J-5-')7).

* (If. G. Paris, Histoire poétique do Ch.arlem.agne, p. 72-74.

^ VA. Romania, XI, 538 sqq,

^ Cf. Romania, IX, 497 sqq.

■^ Cf. Tliomas, Nouvelles rechercJtes .<tur Z'Entrée de Spagne. Paris, LSS?.

Xll LITTEHATUUK rUAXr.AlSK AU MOYKN AOK

A répopée royalo, basée principalement sur les traditions natio- nales, se rattachent, d'un côté les poèmes de Floovant, de Flovenl (conservé dans une traduction islandaise, la Floventsaf/a), de Flo- rent et Oclavien, de Ciperis de Yignevaux et de Charles le Chauve (dont le héros n'appartient que par le nom au cycle carolinj^ien), ))Ocmes qui constituent autour des noms de Clovis, de Clotaire et <li' l)a;,foljert une véritable épopée mérovingienne^; de l'autre le poùiiir de Hugues Capet, dont nous ne i^^jssédons qu'une rédaction du xiv siècle, poème qui sendde indiquer une tentative jjour former un cycle capëlien.

Dans l'épopée féodale, il faut distinguer les poèmes, d'un yraiid intérêt historique, (jui racontent les luttes de Gharlemagne contre les ^q-ands vassaux, de ceux qui s'occupent principalement des guerres d'une famille contre une autre. Les plus intéressants sont, dans le premier groui)e, Girart de Roassillon, écrit dans un dialecte très rap- ItrocJié du provençal au commencement du xF siècle, mais dont il y a des équivalents français et lienand de Montauhan (Chrest., 11); dans le second, la Geste des Lorrains, immense conqiosition bien enchaînée, qui raconte les guerres des familles lorraines et borde- laises pendant plusieurs générations, et à laquelle on n'a pas encore pu découvrir une source historique -, et Raoul de Cambrai {Chrest.^ 13), se déroule, en 7(330 vers fli visés en 319 laisses assonancées, la lutte du neveu de Louis d'Outremer contre les quatre lîls d'Herbert, comte de Vermandois, lutte qui se termine jjar la mort de Raoul, tué sur le clianq) de bataille d'Origny, en 943 : le roi Louis y est rejjré- senté comme félon, et les barons s'unissent pour le braver. Un groupe à part est formé par les poèmes à forme biographique, qui racontent l'histoire d'un héros généralement de i)ure invention, comme Aiol. Elie de Saint-Gilles {Chrest.. 12). Aye d'Avignon. Orson de Bean- rais. etc.

Dans le cycle méridional (Geste de Garin de Monglave ou de Guil- bnnne), le poème <pii a le plus de valeur est certainement celui des Aliscans ou Aleschans, l'on voit Guillaume d'Orange ou au Court- Nez, d'abord vaincu et grièvement blessé par les Sarrasins en Ales- chans, prendre sa -revanche avec l'aide du roi Louis, son beau-frère, et du brave Rainouart«« tifiel {àla. massue). La scène son épouse Guibourc affecte de ne pas le reconnaître et refuse de l'admettre dans son château d'Orange, jusqu'au moment où, malgré ses blessures, il s'élance sur les ennemis qui le poursuivaient et leur arrache leurs l)risonniers. est une des plus heureuses inspirations de l'épopée fran-

' Cf. DariîiesU'ter, De Floovanle vetusliore f/allico poemate et de mero- rinr/ico ri/rlo. Paris, Viewep. 1877. - CI. (i.l':uis, Hoina?ua, XVI, .'jSl-g.

POESIE EPIQUE ET NAKKAriVE XllI

raise {Chrest., 10). Signalons encore Aimeri de Xiirbonne. la Murt d'Aimeri de Xavbonne^ les Enfances Guillauine. le Mariage Guil- laume, le Charroi de Niraes, la Prise d'Orange (poème du xiie siècle, qui ne manque ni (Ventrain ni croi-iginalité), etc.

M. (t. Paris i admet avec quelque raison un cycle particulier, qull appelle cycle adoentice, et qui comprend les poèmes d'origines di- verses, basés sui' fies récits ou des contes absolument étrangers n l'histoire nationale auxquels on a donné la forme épique, et que Ton a rattachés î\ l'épopée nationale par les noms des héros, les lieux ou l'époque se place l'action, comme sont, par exemple: Ami et Amilc {Chrest. ,li), types fameux au moyen âge de l'amitié et du dévouement, et sa continuation, Jourdain de Blaye. du même auteur, dont la source est le roman byzantin d'Apollonius, roi de Tyr, com- posé au me siècle en Asie-Mineure et traduit en latin au vie siècle ; Anseïs de Carthage, probablement imité de l'espagnol, Bovon de Hanstone, imité de l'allemand, le Moniage Guillaume, d'origine probablement lombarde. Le beau poème de Horn, emprunté à l'anglo- saxon, n'a pas été rattaché à la famille de Charlemagne : il a pris seulement, comme le l'oiwixn d'Alexandre et celui des Macchabées, la forme des chansons de geste.

On doit également assigner une place à part aux poèmes inspirés par les croisades, lesquels sont plutôt des chroniques rimées que de vèritaldes épopées, et dont le principal mérite serait la lîdélité, qui malheureusement leur fait souvent défaut. Nous ne citerons que la Chanson d'Antioche ou de Jérusalem {Chrest.. 15), composée, d'après Paiilin Paris, son premier éditeur, au commencement du xiie siècle par le pèlerin Richard et renouvelée sous le règne de Phi- lippe-Auguste par Graindor de Douai. Cf. ci-dessous, p. xliv.

Mentionnons, pour clore cette revue rapide de nos épopées, le court poème (il a à peine 300 vers) du Combat des Trente ^, et les 2-3000 vers ilu Bertrand Duguesclin de Guvelier (1^384). Ces sujets, vraiment épiques, n'ont cependant pas réussi à inspirer des auteurs trop au- dessous de leur tâche ; d'ailleurs la diffusion de l'histoire au xive siè- cle faisait qu'on s'intéressait moins à la poésie inspirée par les évé- nements contemporains, et cette tentative pour rajeunir l'épopée par la nouveauté des sujets n'eut aucune suite.

La parodie avait du reste depuis longtemps commencé son œuvre de destruction et les libertés que prennent avec la chevalerie les auteurs d'Audigier et de Trubert montrent que la naïveté et l'enthou- siasme des xie et xii^ siècles étaient déjà loin. La satire et les inten-

' Cours professé à V École des Hautes Étiuh's en LS^U-lSSl. - Le combat eut lieu entre trente Breton.s et trente Anglais en mars 1;:!50, et le poème n'est pas de l)eaucoup postérieur.

X.1V LITTEHATIUK l'UANr.AlSK AU MuVKN A(iE

tii»ns coiiii(jues se montrent nettement dans la 2'' jjartie ilii <.'onrun- nemenl de Louis avec l'étrange personnage fie Hainouart au tinel, «lans Aiol, «lan.s le Moniage GuilUnime et dans ])lusieurs autres cliaiisons de geste, la gravité épique est parfois en défaut. Il faut mettre à part le Vor/afie on Pèleri^iage de Charlenunjne à Jéritsa- leui et à ConsUoilinojjfe {Chreftl., G»), (ju'on chantait dés la lin iju xi<" siècle à la foire du Lendil, à Saint-Denis, et qu'on peut consi- dérer «-omme le chef-d"(euvre de l'esprit français, on pourrait dire : de l'esprit i)arisien (car c'est sans doute un Parisien «(ui en est l'auteur), au moyen âge. Ici, en effet, il n'y a vraiment ni parodie ni satire: la liante antiquité du ]»oème enq)éclii' de s'arrêter à cette opinion. L'au- teur, plein d'admiration ]tonr (Iharlemagne comme tous ses contem- l>orains, a seulement fondu deux sujets disjjarates, le pèlerinage «le i'Knqtereur au Saint-Sépulcre et un conte aral)e ou indien dont l'équi- valent se retrouve un peu jjartout; et il ne s'est pas aperçu du con- traste choquant «pu* fait avec la première partie l'élément comique ajouté, je veu^c dire les gabs de Charlemagneet «h^ ses douze pairs, se vantant d'acconqdii" les prouesses les plus invraisemblaliles, que le roi de (]onstantin<»ple les force à réaliser sous peine de mort, ce qui h's mettrait en grand péril, puisqu'ils sont désarmés en leur (Qualité i\r )»élcrins, si I)i<'U ne leur venait en aide. (Certes, il a voulu faire i-ji-f l'auditoire bourgeois ou jmpulaire à qui le poème était destiné, mais il a voulu les faire rire non aux dépens de Charlemagne, mais aux dépens du roi Hugon et des Grecs, dont l'insolente magnificence cliO(piait les Occidentaux et en Ymrticulier les Français. « Par l'esprit qui l'anime, par son mélange de honliomie et de fanfaronnade, par la malice naïve de son style, par plus d'un trait de détail, le Pèleri- nage nous apparaît comme un précurseur du charmant roman de Jeart de Paris i ». Le succès réi»ondit du reste au mérite de l'œuvre, sur- tout à l'étranger. En France, la Chanson fut renouvelée au xiii« siècle, et elle a formé le début du ])oème de Galien, dont on n'a plus que deux versions en prose, l'une connue sous le nom de Galien le restord (ju rhéloré (c'est-à-dire le nouveau Galien), l'autre incorporée dans la vaste compilation inq>riinée sous le nom de Garin de Monglavc (C'/ircs^, OIj, 6'- et 6'i).

Xous pouvons maintenant arrêter un instant notre marche et exa- miner rapidement la plus ancienne de nos chansons de gpste, qui est en même tenqjs la plus l>elle, tant par le choix du sujet que jiar la foi-me que l'auteur anonyme a su lui donner.

La Chanson de Roland peut être considérée comme une trilogie épique dont les trois parties sont: la trahison de Ganelon.hi morlde ltol:ui<l.la vengeance que Charlemagne tire de cette mort sur les païens

' (i. Paris, liornania, IX, p. 1 sqq.

POESIE El'lUCE ET NARKAilVE XV

et sur (iaiiL'loii. La première partie, l'exposition, est toute en descrip- tiun.seteu «liscours : les mœurs guerrières du xi^ siède y sont représen- b'-es ilans un tableau dont les tons vigoureux, les couleurs naïves con- viennent parfaitement à la véritable é[)Opée > ; les faits se déroulent naturellement, sans conqilication ni digression. Cliarlemagne a con- quis TEspague entièi'e. Le roi 2»aïen MarsiU-, qui occupe encoie Sa- ragosse, envoie à THniperfur, <{ui se trouvi' à Cordres. des ambassa- deurs jjour se reconnaître son vassal et lui promettre «le venir à Aix et de se faire baptiser. Roland est d"avis ([u"il faut se délier d'un traître ([ui a déjà mis à mort deux barons diargés d'un message, (iauelou, le second mari de sa mère, conseille la paix et propose d'envoyer un amljassadeur à Marsile. Sur l'avis de Roland, c'est lui-même qui est chargé de ce périlleux message; il part, mais jure de se venger. Sa vengeance, ce sera le pacte conclu à prix d'or avec Marsile, pacte par lequel il s'engage à faire placer Roland, « le bras droit de l'Empereur », à l'arriére-garde avec une^troupe peu nom- breuse, que viendront écraser cent mille Sarrasins eJiibusqués dans les passages des Pyrénées. Ainsi fut fait : l'armée des Francs opère sa retraite, et bientôt la vaillante troupe chargée d'assurer ses der- rières est entourée d'un nombi'e toujours croissant d'ennemis. En vain Olivier jjresse Roland de sonner du cor pour avertir l'PZmpe- reur : le héros refuse et sa témérité sul)lime va causer la perte des iiii^lleurs parmi les compagnons de Cliarlemagne. Déjà rarchevétjue Turpin a Ijéni les guerriers et les a absous de leurs fautes en leur montrant le Paradis ouvert pour recevoir leurs âmes (Ch)-est., 5, 1); iléjà Roland, par quelques paroles raj^iiles, a excité l'entliousiasme des guerriers, en leur rappelant que l'Empereur leur a donné un poste d'honneur et qu'ils doivent justifier cette confiance ; la bataille ^engage terrible au tri de Monljoie / et les Français font des prodi- ges de valeur.

Mais de nouveaux assaillants arrivent sans cesse, et bientôt ce ne >ont plus les Sarrasins, ce sont les mjtres (jui tombent sous les coups lie leurs ennemis. « Ils meurent bravement, résignés et tiers, les re- gards tournés vers le ciel, comme des martyrs. La beauté du poème,

' C'est-à-dire à^ lépopée dont nous sommes habitués à regarder l'Iliade comme le type. Nous ne prétendons pas cependant comparer le Roland à VIliade, dont il est bien éloigné par l'imperfection de la forme et la pauvreté de la langue: cependant, par la spontanéité de l'inspiration, la peinture naïve des cai-aclèreset des mœurs, la simplicité pleine de grandeur du récit, la plus l)elle de nos chansons de geste est bien réellement épique. Il est bon, du reste, do remarquer que c'est à tort qu'on a ainsi restreint le sens de ce mot qui devrait être le .synonyme de « -poétiquement )iarratif ». C'est pour cela ((ue nous avons réuni dans notre recueil la poésie narrative aux chansons de geste >ous une même ridjrique, (jui, si l'on s'en tenait à la définition classique, serait inexacte, même poiu- la Chanson de Roland.

XVJ LU TEHATLKE lUANÇAISE AU MOYEN AGE

>-u sujiérioriir' est pivcisément <laiis cette alliance intime de Tesprit ivlij^neux et de la bravoure guerrière : les héros tiennent à la fois du Cid et de Polyeucte. Aucune création poétique du moyen âge n'a celte pureté et celte noblesse. Dans les autres chansons de geste, la valeur des barons est souvent brutale, forcenée et même impie : on dirait •les païens; le vieux fond de barbarie germanique se trahit par des violences qui ne respectent ni Dieu, ni les lionimes ; la crainte est le seul frein cai»able de les dompter. Ici une inllucnce meilleure tem- l)ére, élève et transfigure ces fîmes viriles : le courage est une vertu, l'homme <le guerre un clievalier; sur le i)0éme tout entier brille un ifléal d'honneur et de générosité. La pei'fection qui iiiaïKjuc à la forme est dans la pensée et dans l'inspiration *. »

Enfin, à la prière de rarchevè([ue, Rolaml se décide à sonner du cor. Il sonne si fort que le sang lui jaillit des tempes. L'Empereur, ipioique très éloigné du champ de bataille, entend son api)el et,